L’article sur le pont de la Soummam nous a inspiré un nouvel article, pourquoi ne pas parler des oueds qui se répandaient dans la Plaine de Bougie que nous appelions les Marécages et par déclinaison ses habitants les Marécageux ! Cela coule de source, non ?
A sa fondation, il y a un plus de deux millénaires, la cité de Béjaïa (son nom actuel) a été bâtie en hauteur sur le flanc du mont Gouraya, mais avec le temps son extension s’est faite vers sa plaine marécageuse. En raison de sa situation géographique d’amphithéâtre naturel, la ville, incluant la Plaine, reçoit les eaux de pluie et ruissellement qui dévalent des montagnes environnantes qui la traversent du nord au sud et d’ouest en est avant de se déverser dans la mer ou créant des zones marécageuses côtières.
Nous avons donc affaire à plusieurs oueds et cours d’eau, plus de dix… dont le plus connu est l’oued Soummam. Avec un taux d’humidité très élevé on y trouve aussi deux plans d’eau le lac Mezzaia (dépression et récepteur d’écoulement en contrebas de la Briquèterie) et le lac Tamelah (à droite de l’entrée de la piste de l’actuel aéroport).
Les principaux oueds identifiés portent des noms dont l’orthographe peut varier d’un plan ou carte et à différentes époques. Nous avons travaillé sur plusieurs documents et avons été contraint de faire un choix pour essayer de s’y reconnaître. Nos recherches portent sur des plans s’étageant de 1891 à ce jour.
Les oueds qui arrivent dans la Plaine… c’est un fouillis inextricable qui varie constamment au fil des ans et donc des plans qui sont dressés. Nous ne retiendrons que les principaux que nous avons superposés aux plans actuels.
Le premier travail que réalisèrent les colons qui investirent cette plaine jusqu’à la Soummam, les Concessions et les zones industrielles, fut de canaliser tous ces oueds, qui sont en réalité des déversoirs, des ravines (ighzer), en les dirigeant vers des écoulements principaux pour les emmener rapidement vers la mer et libérer ainsi les terres destinées à une culture tranquille et l’implantation de zones industrielles.
On constate bien cela sur un plan de 1947. Ces oueds sont dits à débit constant pour ceux qui sont alimentés par une source (pratiquement un seul le Seghir et encore) et à débit intermittent s’achevant dans un écoulement principal ou dans une dépression fermée qui disparait par épuisement (dans la mesure ou des curages sont périodiquement effectués).
Depuis 1962 toute cette zone des quartiers de la ville basse a terriblement changé mais les oueds sont toujours là et rendent la vie impossible aux nouveaux habitants dans toute cette urbanisation anarchique entre la rive gauche de la Soummam, le fond de l’arrière-port (quai en eau profonde construit à la place de la zone marécageuse entre la cale-sèche et l’amorce de la grande jetée à Bougie-plage) et les collines environnantes d’où arrivent ces cours d’eau.
Ces zones n’étaient pas habitées avant 1962 et les ravines rejoignaient ou ont été forcées de rejoindre un cours plus important qui disparait souvent sous des dallages pour permettre une libre circulation. Ils se retrouvent à présent en ville compte tenu que ces collines, ces zones agricoles, l’aéro-club toutes ces surfaces sont recouvertes par du béton sur des kilomètres carrés.
Sur ce plan de 1947 on constate que les principaux oueds avaient déjà été canalisés et en partie recouverts (déjà dit). La faible pente dans les parties basses de la plaine gênait l’écoulement hors des périodes d’intempéries et l’eau pouvait stagner et émettre des odeurs nauséabondes surtout en été ; vous vous en souvenez certainement puisqu’un en particulier était appelé « l’oued merda ». Ce qui emmena à la longue la prolifération de moustiques. Là aussi souvenez-vous dans les années cinquante de ce petit avion qui saupoudrait de la DTT sur la ville et ses environs tentant d’endiguer ce fléau. C’était de tout petits moustiques qui nous attaquaient en émettant un sifflement strident lors de leurs attaques en piqué ce qui permettait de les localiser et les écraser avant qu’ils ne piquent. A présent, non seulement les moustiques ont proliféré mais c’est la nouvel espèce le moustique « tigre » qui fait le malheur de la population actuelle en silence... mais en toujours en piquant.
En partant de la Soummam, le premier est l’oued Srir ou es-Séghir (à débit intermittent) qui se déverse sur la rive droite de la Soummam juste avant le pont. Cet oued est créé en réalité en aval par la séparation en deux écoulements de l’oued Séghir. Il reçoit tous les ravivements provenant des hauteurs sur sa rive droite ; il est canalisé. Puis l’oued Seghir le plus important à débit constant, qui prend sa source… ? et se jette à l’extérieur de la grande jetée à Bougie-plage, en passant au nord du dépôts pétrolier. Lui aussi est canalisé. Un troisième, très court à débit intermittent et sans nom appelé parfois le « grand ravin » sur certains plans (voir 1925-1947), qui devait-être un exutoire d’un oued voisin nous le verrons plus loin ; il se répandait dans le milieu de la zone marécageuse de l’arrière-port*. Il disparaitra par épuisement lors de la construction du quai en eau profonde de l’arrière-port ou certainement dévié vers son voisin l’oued Seghir (cette zone était survolée par le transporteur de la mine de Bou Amrane). Là on se situe pratiquement dans l’axe du stade municipal vers la côte. En continuant notre exploration nous trouvons, vers les zones habitées, l’oued Salomon* qui est rejoint à gauche de son embouchure par l’oued Danous. Ces deux oueds encerclaient la zone des ateliers de la CFA et la Saboteuse. Ils étaient canalisés et couverts en grande partie. Cette zone était une zone humide assez nauséabonde, peut-être l’oued Merda. De débit intermittent, ils se déversaient au ras de la cale-sèche dans le haut de la zone marécageuse. L’oued Danous passait obligatoirement, comme tous les autres oueds, sous la voie ferrée Béni-Mansour et la RN 12.
L’oued Salomon, canalisé, passe au nord du stade. L’oued Danous lui aussi est canalisé et couvert. Il revient à l’air libre de l’autre côté de l’annexe de la RN 12 qui contourne le haut des Terre-pleins et qui aboutissait au rond-point Porfério. Cet oued était alimenté, quand il pleuvait, par l’Ighzer (ravin) Birkanoun qui longeait la cité Moulla et la RN 38 vers …. Et le fort Clauzel ; Il passait bien entendu sous la RN 24 d’Alger prolongeant la rue Zaouch Frères, la route de la Briquèterie.
Revenons à l’oued Seghir, il est canalisé assez largement sur tout son parcours. Il reçoit tout au long de sa traversée de la Plaine, sur sa rive gauche, plusieurs écoulements (au moins quatre) dont deux, l’ighzer Ansseur ou Segoual et le N’Dfali qui étaient canalisés de part et d’autre de la Briquèterie et créaient une zone humide (aujourd’hui lac Mezziani…) dans laquelle la briquèterie pompait ses besoins en eau, puis l’ighzer Birkanoun. Dans certains quartiers populaires des ruelles ou des escaliers, par jours d’intempéries, se transformaient en exutoires… L’eau doit obligatoirement descendre et les ravines reprenaient leur chemin… Rappelez-vous de l’oued Chellal aux Cinq Fontaines qui pouvaient même transformer la rue du Vieillard en oued. M. Hovelacque nous le racontait bien dans un article paru dans notre journal en 2004 (orage à Bougie en 1931). D’ailleurs, avant que le bd Clémenceau ne fut entièrement réalisé on constate, sur les vieilles cartes de la ville, que la zone haute était un ravin, la rue du 59ème (ex. rue du Cadi) s’arrête à la hauteur de la rue Andréone. Il existait à notre époque un exutoire de cet oued qui descendait par les escaliers (en contre-bas de la Goutte de lait), longeant le dépôt Andréone, traversait ce que nous appelions le « douar » et aboutissait place Pérusset ». Quand il pleuvait tout cela reprenait son cours…
Après le Danous vient l’oued Roumane qui passe entre la Sofrali et la caserne et s’épuise dans la zone humide du Danous. Un autre oued, alimenté par l’ighzer Sidi Sellam du grand ravin en contre bas de la porte Fouka et du Bois sacré. Nous avons retrouvé son cours sur un plan de 1891. Il longe le Chapeau de gendarme sur sa droite, puis la rue Bugeya en arrière de l’école Jacquard, traverse la rue Zaouch à la hauteur de l’emplacement où sera construite Ste Thérèse, puis les terre-pleins de l’arrière-port pour aboutir le long de la calle-sèche dans la zone marécageuse (voir plan). Ces deux derniers oueds étaient recouverts et disparurent par épuisement lors de la construction du quai en eau profonde ou redirigés vers son suivant.
Un autre oued sans nom, qui longeait le cimetière chrétien sur sa droite, traversait les Oliviers - que certains se rappellent ce petit pont qui enjambait la courbe de la route qui venait du fort Abdelkader, il y avait un magnifique alisier sur la gauche et un grand murier en contre bas sur lequel nous ramassions les feuilles pour nos vers à soie. Dans la petite mare qu’il créait en contre bas du pont, nous capturions les têtards nécessaires à la Leçon de choses de Mme Cross sur les batraciens… que de souvenirs ! - Cet oued terminait sa course dans l’avant-port en contrebas des batteries juste après la sortie du tunnel. J’ai toujours vu un mince filet d’eau couler dans cet oued, l’eau y était très claire ; avait-il une source ?
En continuant sur la route de la brise de mer existaient encore trois ravines, une qui passait en contre bas du cimetière israélite et aboutissait avant les établissements de bains dans la dernière courbe de la route où souvent s’installait un marchand de merguez et deux autres avant le four à chaux, la dernière étant celle survolée par le carrousel des wagonnets qui descendaient des carrières qui alimentaient le four.
Je crois avoir fait le tour. A notre époque nous ne prêtions pas attention à tout ce réseau. Toutes les ravines qui pénétraient dans les groupes d’habitations, là où le tracé de rues était très délicat voire impossible, aussi bien en ville qu’à la Plaine, étaient emménagées en escaliers qui, par temps de pluie, servaient d’exutoires ; cela permettait aussi de faire un grand nettoyage. Je ne sais pas si vous vous souvenez par temps de pluie des escaliers Alivon par exemple, qui descendaient de la place de l’église St Joseph, assez sombres et en pierres noires, elles servaient à certains pour épancher leurs envies subites le soir…
Que pourriez-vous dire pour compléter cela ?
Que d’eau, que d’eau !
Recherche et mise en page Roland Pêtre
*Les ajoncs qui proliféraient dans cette zone servaient de refuge à de nombreux petits escargots blancs que nous utilisions comme amorces pour la pêche ; les sparaïons adoraient. On y récoltait aussi des clovis, ma mère ne voulait pas que nous les mangions ils finissaient eux aussi comme amorces.
** son nom est peut-être celui du général Salomon de Musis assassiné en 1836… Le nom de cet oued a été conservé par les Algériens. Ils existaient dans le quartier Karaman, une rue et une place Salomon.
Pour plaisanter, on pourrait donner comme traduction d’un oued : courant alternatif ou continu ! ceci dit pour les gens branchés.
|